substantif féminin

ÉTYMOLOGIE

Histoire :
I. A. 0. « signe, révélation (de dieu) ». Attesté au 12e siècle [hapax ; var. ms. S, Paris, 12471] (AlexisP, vers 1298 = TL = TLF : N'i vient enfers de cele enfremeté A cel saint cors, lues ne soit rasenés ; Auquant i vienent, auquant s'i font porter. Si vraie espesse lor a Dius demoustré, Qui vient plorant, cantant l'en fait aler). -
I. A. 1. « image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception (terme de philosophie) ». Attesté depuis 1314 (HMondB, § 210 : Oyl est membre consemblable ou official, compost, de complexion froide et seche, orgue de vertu visible, par la quele est presentee au commun sens l'espoice de la chose visible). Le sens « image, forme (au sens aristotélicien) de la chose vue » est relevé en 1393 (MelusArrS : espice espirituelle) et ca 1450/1500 (GORDON, Prat. : espece de la chose visible, tous les deux in DMF 2009). Tandis que Ac5 signale que ce sens est encore utilisé dans la philosophie scolastique (cf. FEW 12, 155b), Ac6 et Ac7 indiquent que ce sémantisme a disparu. Cependant, alors que cette valeur n'est plus relevée par Ac8, elle est à nouveau enregistrée par Ac9 qui ne précise pas que cette acception est sortie de l'usage. Quant à Robert 1, Robert2 et Petit Robert 2008, ils indiquent « anciennement » ou « vieux ». -
I. A. 2. sous les espèces (l'espèce) de loc. prép. « sous la forme de ». Attesté depuis 1918 (PROUST, Recherche, volume 1 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 601 = Frantext : En tous cas les amies de Mme Swann étaient impressionnées de voir chez elle une femme qu'on ne se représentait habituellement que dans son propre salon, entourée d'un cadre inséparable d'invités, de tout un petit groupe qu'on s'émerveillait de voir ainsi, évoqué, résumé, resserré, dans un seul fauteuil, sous les espèces de la Patronne devenue visiteuse dans l'emmitouflement de son manteau fourré de grèbe). -
I. B. « apparences du pain et du vin après la transsubstantiation (terme de théologie catholique) ». Attesté depuis 1545 (CALVIN, Institution, volume 4, livre 4, chapitre 17, page 387 : Toutesfois la somme revient là, qu'ils enseignent de chercher Iesus Christ en l'espèce du pain, qu'ils appellent, Qu'ainsi soit, quand ils disent que la substance du pain est convertie en luy). La forme plurielle, de nos jours la plus usuelle, est attestée depuis 1656 chez ARNAULD, Lettre = Frantext. Antérieurement, la locution prépositionnelle desouz la especie de pain « sous la forme, sous l'apparence de pain » se trouve à la fin du 13e siècle dans un traité de vie monastique écrit en anglo normand (AncrRiwleCH, in AND2). -
II. D./III. « sorte, catégorie ». Attesté depuis 4e quart 13e siècle (ManuelPéchF, in AND2 : Ore vus dirrum de Glotonie, […]. Ces especes covient ore cunter). Pour d'autres attestations du 14e siècle au 15e siècle, voir TLF, AND2 et DMF 2009. Première attestation lexicographique : 1530 (PALSGRAVE, page 274 : Spyce a kynde – especes, f.). -
II. C. 1./II. C. 2. espèce subst. fém. « genre humain ». Attesté depuis ca 1275 (RoseMLec, vers 16597 : Ainz conmant que mout les [= les fames] prisiez Et par reson les essauciez ; Bien les vestez, bien les chauciez, Et tourjorz a ce laboroiz Que les servoiz et honoroiz Por continuer vostre espiece Si que ja mort ne la despiece). La locution espèce humaine est attestée depuis 1370 (OresmeEthM, in DMF 2009 : Mais non obstant ce, en espece humaine l'amour du pere est plus noble et meilleur). -
II. C. 3. d. de toute espèce loc. « de toute condition, de toute sorte ». Attesté depuis 1541 (CALVIN, Institution, volume 4, livre 4, chapitre 2, page 51 = Frantext : Finalement, au lieu d'y avoir le ministère de la Parolle, on n'y a que des escoles d'impiété, et un abysme de toutes espèces d'erreur). -
II. C. 4. « individu de basse condition ou méprisable ». Attesté depuis 1671 (MOLIERE, Fourberies, acte 1, scène 3 = Frantext : SILVESTRE. Voilà votre père qui vient. OCTAVE. Ô Ciel ! je suis perdu. SCAPIN. Holà ! Octave, demeurez. Octave ! Le voilà enfui. Quelle pauvre espèce d'homme ! Ne laissons pas d'attendre le vieillard). -
II. C. 3. b. de ton (son, votre, cette) espèce loc. « semblable à toi (lui, elle, vous) ». Attesté depuis 1679 (RETZ, Mémoires, partie 2, page 293 = Frantext : Jugez, je vous supplie, quel plaisir il y a d'avoir un négociateur de cette espèce, dans une cour où nous devions avoir plus d'une affaire). -
II. C. 3. c. de la grande, de nouvelle espèce loc. « se dit d'un individu original, singulier d'un caractère assez plaisant (qqf. avec une valeur laudative) ; de nouvelle nature ». Attesté depuis 1690 (FURETIERE1 : ESPECE, se dit quelquefois des individus de chaque espece à part. Voilà un homme singulier, d'une nouvelle espece). -
II. C. 3. a. (de) la pire espèce loc. adj. « se dit d'un individu sans grand mérite ni valeur morale » . Attesté depuis 1693 (LA FONTAINE, Fables, volume 1, livre 12, fable 19, Le Singe, page 491, vers 14 = Frantext : Il hante la taverne et souvent il s'enivre. N'attendez rien de bon du Peuple imitateur, Qu'il soit Singe ou qu'il fasse un livre. La pire espèce, c'est l'Auteur). -
II. A./II. B. « ensemble des êtres vivants, des corps, des substances, des figures ou formes géométriques ayant des propriétés semblables ». Attesté depuis 1734 (REAUMUR, Insectes, Premier discours, Second mémoire, page 52, in Gallica : Il reste pourtant une difficulté considerable par rapport à l'établissement des classes, des genres, & des especes de ces insectes). Première attestation lexicographique : 1755 (ENCYCLOPEDIE, volume 5, page 955a : ESPECE, (Hist. nat.) « Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre, sont regardés comme composant l'espece de ces individus. -

Origine :
I. A. 0. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « ce par quoi se manifeste, se révèle extérieurement une notion, un principe » (attesté depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. PFISTER in FEW 12, 155a, SPECIES II 1 b.
I. A. 1. /I. A. 2. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « image ou représentation qu'on se fait d'une chose (terme de philosophie) » (attesté depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. PFISTER in FEW 12, 155b, SPECIES II 1 b.
I. B. Transfert linguistique : calque du latin species subst. fém. « les apparences, les espèces (du pain et du vin dans l'eucharistie) » (attesté dans la langue de la théologie chrétienne depuis Innocent III, BLAISE, Lexicon). Cf. PFISTER in FEW 12, 155b, SPECIES II 1 b.
II. A./II. B./II. C. 1./II. C. 2. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « espèce [subdivision du genre] » (attesté comme terme scientifique depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. PFISTER in FEW 12, 155b-156a, SPECIES II 1 c.
II. D./II. C. 3./II. C. 4./III. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « sorte, catégorie » (attesté depuis Varron, Cicéron, OLD 8, 1799c, 10). À partir de la Renaissance, le mot s'est fixé dans différentes locutions (II. C. 3./II. C. 4./III.). Cf. PFISTER in FEW 12, 155b-156a, SPECIES II 1 c.
Le mot espèce apparaît tout d'abord dans une attestation isolée au 12e siècle comme terme religieux au sens de « signe, révélation (de Dieu) » (I. A. 0.) et en philosophie, au début du 14e siècle, ce substantif est utilisé pour exprimer « l'image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception » (I. A. 1.), puis sert en théologie pour désigner d'abord au singulier (depuis 1545, I. B.), et ensuite au pluriel (depuis 1656), le corps et le sang de Jésus Christ, sous les apparences du pain et du vin dans le sacrement de l'eucharistie. Au 13e siècle, il est relevé au sens général de « sorte, catégorie » (II. D./ III.) et dans la littérature didactique, il est employé pour désigner le genre humain (II. C. 1./ II. C. 2.). Le système de classification du monde vivant utilisé aujourd'hui est fondé sur l'œuvre du grand naturaliste suédois Carolus Linnaeus dit Linné [1707-1778]. Dans le système de Linné, chaque espèce reçoit deux noms, le premier identifiant l'espèce elle même et le second le genre auquel l'espèce appartient. La catégorie supérieure au genre dans cette hiérarchie est la famille. Les familles sont regroupées à leur tour en ordres, et les ordres en classes. Les classes d'animaux sont regroupées en phylums et en divisions chez les végétaux, les bactéries et les champignons. Les phylums ou les divisions regroupés constituent des règnes. À l'origine, Linné n'avait décrit que deux règnes : les plantes et les animaux. Actuellement, on connaît six règnes (Bacteria, Archaea, Protista, Plantae, Fungi, Animalia). En outre, depuis peu, les biologistes utilisent un niveau supérieur à celui des règnes, les domaines. Les trois domaines définis sont Bacteria, Archaea et Eucarya. Les organismes vivants étaient donc rassemblés essentiellement sur la base de leurs similitudes et de leurs différences morphologiques grossières pour mettre en évidence des liens de parenté. En français, c'est le physicien et naturaliste René Antoine Ferchault de Réaumur [1683-1757] qui a introduit le terme espèce comme unité taxonomique dans les sciences naturelles, à travers l'un de ses ouvrages majeurs, ses Mémoires pour servir à l'histoire naturelle des insectes paru de 1734 à 1742 (II. A./ II. B.).
Qu'est-ce-que l'espèce? Pour les naturalistes du 18e siècle, « ce n'est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espece, c'est la succession constante & le renouvellement non interrompu de ces individus qui la constituent : car un être qui dureroit toûjours ne feroit pas une espece, non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureroient aussi toûjours. L'espece est donc un mot abstrait & général, dont la chose n'existe qu'en considérant la nature dans la succession des tems, & dans la destruction constante & le renouvellement tout aussi constant des êtres » (Encyclopédie, 1755, s.v. espèce, 955-970). Quant à Darwin [1809 1882], il explique que les espèces descendent les unes des autres, par le moyen de modifications sélectionnées et transmises. D'après la conception darwinienne, l'espèce est une entité localisée dans le temps et dans l'espace (DARWIN, Origine Bec., chapitre 13, Affinités mutuelles des êtres organisés ; morphologie ; embryologie ; organes rudimentaires, pages 467-468). En 1940, le naturaliste allemand Ernst Mayr définit les espèces sur la base du critère décisif de l'isolement reproductif. Ainsi, une espèce est un groupe de populations naturelles interfécondes qui est, en ce qui concerne sa reproduction, isolé des autres groupes de même nature. Tous les éléments de cette formulation, généralement acceptée aujourd'hui, identifient les aspects importants du concept d'espèce biologique (TORT, Darwinisme, s.v. espèce, 1392-1396 ; s.v. Mayr, 2848-2849 ; CAIN, Biologie, 26-27 ; 339-353).

Rédaction TLF 1980 : Etienne Ammann. - Mise à jour 2009 : Cécile Haut. - Relecture mise à jour 2009 : Nadine Steinfeld ; Yan Greub ; May Plouzeau.